#11 Defeater’s Discography pt.1: Travels

- 15/09/13 23:44

Cover [MBH]

Pour des raisons plus qu’évidentes, nous n’avons pas pris la peine d’inclure dans les articles la trentaine de textes qui ont été étudiés pour les bienfaits de cette analyse.

Ce qu’il y a d’intéressant avec la discographie de Defeater c’est qu’elle est – jusqu’à maintenant – complètement liée de part en part. Même si il y a de très bons textes qui se suffisent à eux mêmes, il est plus intéressant de les étudier tous ensemble, et qui dit étudier un album de Defeater, dit étudier toutes leurs galettes. De plus, il se dit que l’histoire racontée a été construite comme un triptyque, et que la récente sortie de Letters Home viendrait boucler la narration. On ne jettera qu’un léger coup d’oeil à l’EP Lost Ground ainsi qu’aux morceaux acoustiques puisqu’ils s’inscrivent différemment dans le récit même s’ils peuvent apporter leur lot d’informations. Ainsi on va voir à la suite les trois LP de ce groupe déjà mythique, expliquer ce qu’ils racontent, et découvrir la manière dont ils s’entrecoupent.

À la fin de chaque album je vous laisserai un florilège des phrases que l’on peut trouver dans leurs textes et qui m’ont paru les plus marquantes, les plus emblématiques, ou encore les plus poétiques.

 

Travels :

L’histoire

Travels raconte l’histoire d’un jeune homme né dans une Amérique post-WWII, dans une famille atypique et dérangée dont les membres souffrent tous de divers plaies et vices. Père alcoolique et parieur, mère droguée et battue et enfin frère rival en mal d’amour et qui le rabaisse constamment. Perturbé, notre personnage n’est ni attachant ni identifiable, puisqu’il tourne le dos à sa vie et à sa famille après avoir dans un excès de rage tué son propre père ; et décide alors de sauter dans un train pour fuir ses responsabilités (c’est de la que le titre travels, soit voyages, prend tout son sens). Il finira par revenir chez lui pour y confronter un frère bien décidé à lui faire payer la mort de leur père et de leur mère, qui s’est finalement noyée dans l’héroïne. Finalement il est lui même tué dans un étrange fratricide qui inclurait pour les littéraires de comparer Travels avec non seulement Oedipe mais aussi MacBeth. Le « héros » a donc tué deux membres de sa famille, et a laissé le troisième se détruire à petit feu, c’est dans une ultime narration que l’on découvrira son humanité, alors qu’il se repent dans un lieu de culte.

 

Les paroles

On ne va pas reprendre les textes un par un mais certains passages méritent d’être explicités pour comprendre en profondeur les tenants et les aboutissants de ce drame générationnel. On apprend dans le premier morceau « Blessed Burden » (c’est le nom que son père lui a donné, littéralement un fardeau bénit) qu’il n’était pas un enfant désiré contrairement à son frère aîné : « unwanted from his first breath » (non désiré dès son premier souffle). On en sait un peu plus sur les dysfonctionnements de la famille assez rapidement, puisque sa mère est la seule heureuse de cette naissance, alors que son bâtard de père (« bastard father ») se contente de s’enivrer de whisky et de battre sa compagne (« all she gets is the drunk with his fists »/« he raises his hand to her »). On remarquera également à la fin de cette piste l’apparition de l’expression « sleepless nights » qui sera l’EP acoustique qui accompagnera le deuxième album du groupe Empty Days. Coïncidence ? Probablement.

Il nous est ensuite introduit la rivalité que notre personnage – qui ne part déjà pas gagnant – entretient avec son grand frère dans « Everything Went Quiet ». Les deux frangins étaient en constante dispute et en constante recherche du « qui est le plus fort d’entre nous » ; alors ils se lançaient des défis stupides, desquels ressortait un vainqueur, et un lâche (plusieurs mots pour lâche sont d’ailleurs employés « coward », « yellow-belly », « runner »). Le petit jeu décrit dans cette piste n’est pas très clair, mais il contient des chemins de fer, un train et bien sûr les deux jeunes hommes. Je suppose que le premier à se retirer avant que le train ne les percute était désigné moins que rien : « waiting for the smoke above the trees », en attendant la fumée au dessus des arbres ; « it’s you and me and the train », c’est toi, moi et le train. Le plus jeune d’entre eux se laisse dépasser par sa peur (« the younger’s fear topples over ») et décide de fuir.

Les troisième et quatrième pistes (« Nameless Streets » et « Forgiver Forgetter ») vont plus ou moins ensemble. On sent d’abord un fils qui refuse d’être comme son père (« that will never be me »), un fils qui préoccupe sa mère (« please don’t leave me » lui dit-elle), un fils qui comprend qu’il n’a pas sa place ici (« they all come here to die ») mais qui n’y peut pour l’instant rien («  there’s no forgiveness here, no hope beyond that pier, no way to get out now, not for her in this dead end town ») et un fils qui n’en peut plus de son père battant sa mère. Le tournant de l’album et de l’histoire se déroule juste après, le passage à l’acte qui va déclencher un engrenage infernale. C’est peut-être – et à juste titre – la piste la plus speed de l’album, puisqu’elle retranscrit la colère refoulée de notre personnage qui se lâche enfin jusqu’à commettre l’irréparable. La scène est forte, la montée en pression est très bien jaugée, tout comme le saisissant dialogue qu’il entretient avec son paternel. Ce dernier déclare qu’il a perdu tout son argent aux jeux, puis accuse son épouse de ne pouvoir payer le loyer à cause de sa toxicomanie (« she can’t pay the rent with that needle in her arm »). Note ami défend alors sa mère, tente de frapper son père, pour finalement laisser place à un très beau one-two punch : « that’s some nerve you got kid » (t’as du cran petit) _ « yeah, well they’ll put that on your tombstone as the last thing that you said » (ouais ? bah c’est ce qu’ils mettront sur ta tombe comme le dernier truc que t’as prononcé). Toutes les douleurs endurées et la frustration cachée se met alors à faire surface, et dans une ultime joute verbale il le tue avec une bouteille de whisky vide. Pourtant sujette malheureuse de ses sautes d’humeur, sa mère est en larmes et son frère impuissant jure de se venger. Note pour plus tard : c’est également après les évènements de ce morceau que débute l’arc narratif de Empty Days.

Les cinq pistes suivantes racontent les voyages de notre Jack (j’ai décidé de l’appeler comme cela) jusqu’à son retour. Elles ne sont pas toutes intéressantes même si elles relatent d’une évolution psychologique du personnage, de la colère de son départ jusqu’au retour de sa bonne conscience qui le pousse à revenir chez lui pour tenter de réparer ce qu’il a détruit, sauf que d’après les trois dates qui nous sont données au début de certaines pistes (1945/1962/1969), ses voyages auront duré sept ans. Nous avons donc le départ dans « The City By Dawn » puis le début de l’alcoolisme dans « Prophet In Plain Clothes » (« time is wasted in drinks ») où il tente de se convaincre que le chez soi n’est qu’une illusion (« home’s never home it’s just the place where you came from »). Dans cette dernière, il aperçoit un homme, le fameux « prophet » du titre, qui joue de la guitare acoustique en pleine rue, narrant ses propres expériences en chanson ; là où c’est plus intéressant c’est que ce personnage fera l’objet de l’EP Lost Ground un an plus tard. Jack se met ensuite à travailler à une ferme dans « Carrying Weight » et « Moon Shine » jusqu’à ce qu’il se décide à rentrer en stop dans « The Blues », et c’est là que l’histoire se conclura.

De retour chez lui il est directement accueillis par son frère (« when he is greeted by his brother ») qui lui apprend qu’il a travaillé sur les docks en attendant son retour, et que sa mère est désormais morte (« your addict mother is dead »). Pour en finir, ils se retrouvent sur les chemins de fer où ils allaient étant plus jeune, le plus grand des deux tenant son frère en joug le revolver à la main, avec la ferme intention de le tuer pour lui faire payer son abandon (« your life is my payback »). Finalement Jack parviens à se retirer laissant son frère seul se faire rouler dessus par le train, comme un symbole (Empty Days apportera plus de précisions sur ce moment). Dans l’ultime conte qui nous est raconté, on retrouve notre ange déchu se confessant dans la maison de dieu après qu’il se soit interrogé sur la futilité de son existence (« what’s left for me », « there’s no place for me ») et qu’il ait pris conscience de ses actions passées (« the cowardice forever following him », « to face up those fears »). Lorsqu’il entre dans la chapelle il fait référence à une porte blanche en chêne, une « white oak door », on retrouvera cette référence dans le dernier morceau de Empty Days, intitulé « White Oak Doors ». Alors qu’il confesse ses meurtres au prêtre, ce dernier lui dit quelque chose de très troublant et de bien plus profond qu’il n’y paraît : comme n’importe quel homme de foi il l’absout de ses péchés grâce à la confession, mais il comprend néanmoins que le pardon recherché par Jack, celui qui le libèrera de ses fardeaux doit venir de lui même et non d’une entité divine, d’où cette phrase magnifique : you have found absolution here son, but only from me (tu as trouvé l’absolution ici mon fils, mais seulement la mienne). Il ira finalement graver son nom sur le clocher de l’église pour qu’il puisse entendre sa cloche depuis les enfers, et on comprend donc qu’il ne redescendra pas du toit par les escaliers.

 

Him and Jack

Par deux fois il est mentionné ce « him and jack » dans les pistes de Travels. Le « him » fait alors toujours référence au père, mais le Jack peut prêter à confusion ; car même si plus on avance dans l’histoire plus il est l’évidence même que le Jack soit en fait la bouteille de Jack Daniels devenue inséparable de son propriétaire alcoolique, on peut toujours se prêter au jeu du dédoublement de personnalité du paternel qui se transformerait en Jack lorsqu’il est ivre et bat sa femme (ce Jack là n’ayant rien à voir avec le patronyme fictif que j’ai donné au personnage).

 

God & Devil

Les références à Dieu et au Diable sont nombreuses tout au long de l’opus, seulement elles se classent toutes les deux dans des contextes bien différents. Lorsque le jeune frère ou la mère fait référence à Dieu, elle le fait toujours de manière immatérielle et en référence à un être immatériel, c’est à dire lors de ses prières pour elle ou pour ses enfants. On est ici dans de la pure adoration désespérée d’une figure déiste intemporelle et non charnelle, et donc dans quelque chose qui concrètement n’existe pas. En revanche lorsque les personnages font référence au Diable via le mot « devil » (qui est parfois un nom mais parfois un adjectif), c’est toujours pour donner un côté malsain à quelque chose de concret, en l’occurrence le père la plupart du temps (ce sera également utilisé pour caractériser le sourire du frère). Qu’il ait des yeux démoniaques, qu’il pervertisse par la parole ou qu’il soit le démon en personne, c’est toujours quelque chose de personnifié. Il y aura également des référence à l’Enfer de manière conceptuelle et inutile d’extrapoler la relation Dieu/Diable pour le morceau qui se déroule dans une chapelle, elle coule de source. Ce qu’il faut retenir c’est que l’on accepte d’associer le diable à une personne, tandis que le créateur n’intervient manifestement jamais lui même.

 

Best parts

« They would cry until the early morning light, it was the first of many, many sleepless nights » – (« Blessed Burden »)

« A kid brother in the shadows of a cold heart’s legacy » – (« Everything Went Quiet »)

« The sound of heartbreak reminded him of home, shadows move slow across the floor, a minute seemed like a day or more » – (« Nameless Streets »)

« Too much, too young. He’d never sleep again » – (« Nameless Streets »)

« I never wanted to kill a man like I want to kill you, man » – (« Forgiver Forgetter »)

« Just rest your head where the sun sets » – (« The City by Dawn »)

« Down in hell you best know who your friends are » – (« Prophet in Plain Clothes »)

« Home is never home said by the martyrs ans lost souls, home is never home said the prophet in plain clothes » – (« Prophet in Plain Clothes »)

« I’m a loner kid, I got no grace and no tact » – (« Moon Shine »)

« The hope, the hope, the hope he’s chasing. The blues, the blues, the blues he carried are dead and buried. » – (« The Blues »)

« No judgment cast down this day, will set you free. You are forgiven my son, you are blessed and redeemed. You’ve found absolution here son, but only from me. » – (« Cowardice »)

« He carves his name in that old brass bell, so when it rings he can hear it in hell » – (« Cowardice »)

 

Best lyrics

Deux morceaux sortent vraiment du lot au niveau des paroles: « Forgiver Forgetter » et « Cowardice ».

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